LES IMPLICATIONS POLITIQUES DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE EN AMERIQUE LATINE ET DANS LES CARAÏBES, 2014-2019
La 58ème Table Ronde Politique de l’OEA était consacrée, le 20 mai 2014, aux effets politiques de la croissance économique en Amérique latine et dans les Caraïbes. Cette question, comme l’a souligné le Secrétaire Général de l’Organisation José Miguel Insulza, est directement liée au thème de la prochaine Assemblée Générale de l’OEA à Asunción du 3 au 5 juin prochains : « Développement et Inclusion sociale ». Les politiques sociales et d’inclusion doivent, en effet, accompagner la croissance économique pour affronter les défis majeurs que sont la pauvreté, les inégalités, et la violence. Ces enjeux sont particulièrement saillants en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Trois intervenants ont donné leur point de vue lors de cette rencontre :
- Alejandro Werner, Directeur du Département de l’Hémisphère Occidental au Fonds Monétaire International (FMI)
- Ines Bustillo, Directrice du Bureau à Washington de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPALC)
- Harold Trinkunas, agrégé de recherche et Directeur de la Latin America Initiative à la Brookings Institution
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1/ Un ralentissement de la croissance économique en Amérique latine et dans les Caraïbes est prévu pour la période 2014-2019 par toutes les institutions financières, même si les situations étatiques sont très hétérogènes dans la région. Le taux de croissance qui était de 4,3% de moyenne entre 2004 et 2012 devrait s’affaisser à 3,2% dans les quatre prochaines années, d’après l’expert du FMI, ce qui fera de l’Amérique latine et des Caraïbes la région en développement dont le taux de croissance est le plus faible, selon Ines Bustillo.
Le fléchissement de la croissance a plusieurs causes, selon Alejandro Werner. D’une part, l’affaiblissement des croissances chinoise et indienne entraîne une réduction de la demande dans ces pays et donc une diminution des exportations vers ces-derniers. Ainsi, le ralentissement des croissances asiatiques a un impact sur le prix des matières premières. La chute de la demande de matières premières, notamment en Chine, a pour conséquence la diminution des prix ce qui, à terme, impactera forcément la croissance des pays exportateurs d’Amérique latine. D’autre part, la reprise de l’économie américaine conduit les taux d’intérêt à long terme à augmenter, ce qui risque de réduire les investissements à destination des pays d’Amérique latine et des Caraïbes.
2/ Les exigences des citoyens ont été relevées par ces années de prospérité économique. En ce sens, le développement des classes moyennes conduit à la multiplication des revendications sociales de la part de ceux qui sont sortis de la pauvreté durant ces quinze dernières années. La modernisation de la démocratie et du système politique doit s’accompagner de mesures en faveur de l’inclusion sociale et de l’amélioration de la qualité des services publics en général.
3/ L’emploi joue paradoxalement un rôle dans le ralentissement de la croissance. Aujourd’hui, les pays d’Amérique Centrale et des Caraïbes connaissent des taux de chômage particulièrement bas. Les capacités de travail ont presque atteint leur maximum d’efficacité. Or, pour espérer un rebond de la croissance, il faudrait que les forces de travail continuent d’augmenter. L’inclusion beaucoup plus large des femmes dans la vie active serait une solution à long terme.
4/ La pauvreté et les inégalités restent un défi qui ne doit pas être négligé. En effet, si la croissance économique a permis de faire baisser sensiblement la pauvreté, le continent américain reste le continent le plus inégalitaire du monde. Comme l’a souligné le Secrétaire Général Insulza, la diminution de la pauvreté ne signifie pas forcément une meilleure répartition des revenus. De plus, les inégalités ne sont pas seulement envisagées en termes de revenus, mais également en termes d’accès à des services publics de qualité, de protection des droits de l’homme ou de sécurité publique. Or, il est du rôle des pouvoirs publics de profiter des périodes de prospérité économique pour mettre en place les réformes nécessaires à l’amélioration de ces services sociaux. Le ralentissement de la croissance peut donc également mettre en péril les avancées accomplies dans la région en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités, a souligné Ines Bustillo.
5/ Des politiques d’éducation et des progrès techniques sont nécessaires pour éviter ce retour en arrière prévisible en cas de ralentissement de la croissance. Le capital humain devra permettre le rebond de la croissance économique et surtout sa soutenabilité sur le long terme. Alejandro Werner s’est inquiété que dans la région les indicateurs PISA de mesures des performances des élèves en compréhension et mathématiques soient dans les tranches basses du classement international. Pour répondre aux craintes des nouvelles classes moyennes face aux perspectives économiques incertaines, les politiques sociales doivent être plus performantes en matière d’éducation, de sécurité et d’infrastructures, selon Harold Trinkunas.