HAÏTI : SOUVERAINETE DANS UN ETAT FRAGILE
La Elliott School of International Affairs de l’Université George Washington (Washington DC) organisait, le 2 mai 2014, un cycle de conférences sur l’avenir d’Haïti. Depuis la fin de la dictature duvaliériste en 1986, et même précédemment, l’île a été l’objet de nombreuses crises politiques, sanitaires et naturelles qui l’ont fortement affaiblie, ouvrant la porte à des contingents étrangers militaires ou humanitaires venus œuvrer pour sa reconstruction.
Les propos des intervenants ont été plutôt homogènes tant sur le diagnostic que sur les solutions pour permettre à Haïti de recouvrer sa souveraineté en renforçant l’Etat et les institutions nationales. La faiblesse de l’Etat haïtien n’est pas qu’une cause de sa dépendance à l’aide internationale, elle en est également une conséquence. Or, le mandat de la MINUSTAH va prendre fin : quel sera alors le futur d’Haïti ? qui en assumera la charge ?
Les interlocuteurs étaient :
- Robert Maguire : Professeur de relations internationales et Président du Programme sur l’Amérique latine de l’Université George Washington.
- Robert Fatton : Professeur d’affaires publiques et internationales à l’Université de Virginie
- F. Carl Braun : Président du plus grand groupe bancaire et financier d’Haïti, UNIBANK S.A.
- Laurent Dubois : Professeur de littérature et d’histoire à l’Université de Duke
- Gabriel Verret : Conseiller économique et politique qui a travaillé auprès de la présidence haïtienne, de différents ministères haïtien et de la mission USAID
1. Un bref aperçu historique. La fin de la dictature de Jean-Claude Duvalier en 1986 fait entrer Haïti dans une longue période de transition démocratique marquée par une instabilité politique importante. Les Présidents Jean-Bertrand Aristide et René Préval se succèdent à la tête de l’Etat à plusieurs reprises avant que ce dernier ne contraigne M. Aristide à l’exil en 2004. Il faut attendre 2010 pour voir le premier président démocratiquement élu, René Préval, céder le pouvoir, au terme de son mandat, à un autre Chef d’Etat issu des urnes, Michel Martelly.
Cette même année, une intervention militaire franco-canado-américaine et l’installation d’un contingent onusien (MINUSTAH) sont décidées afin de stabiliser le pays. Cela s’inscrit dans la continuité des interventions étrangères, particulièrement occidentales, intervenues en Haïti depuis la fin de l’ère duvaliériste. Le pays est le plus pauvre des Amériques et le seul du continent à faire partie du groupe des Etats les moins avancés.
2. Par ailleurs, Haïti relève une très forte vulnérabilité face aux éléments naturels comme en témoignent les quatre ouragans ayant frappé l’île en août 2008 et le dramatique tremblement de terre du 12 janvier 2010 ayant causé la mort de près de 250 000 personnes.
La situation économique et sanitaire très dégradée dans le pays affecte la stabilité et la robustesse des institutions politiques.
3. Haïti est devenu, selon M. Robert Fatton, la « république des ONG ». Parlant même de « nouveau fardeau de l’homme blanc », M. Fatton explique que l’Etat haïtien a perdu toute souveraineté à la suite de l’élan de « générosité » et de l’intervention de centaines d’organisations occidentales, notamment américaines. Sans contrôle ni sur leurs actions, ni sur l’origine de leurs fonds, elles ont un impact majeur sur la politique intérieure haïtienne dans la mesure où elles supplantent l’Etat dans la plupart de ses missions traditionnelles (santé, emploi, sécurité). Sur les 2,4 milliards de dollars récoltés pour la reconstruction du pays après le tremblement de terre, seulement 25 millions ont été accordés directement à l’Etat haïtien, témoignant de la main mise profonde des associations humanitaires et des programmes internationaux sur l’île. Haïti est gouverné et occupé par des forces de maintien de la paix, des donateurs et des humanitaires, selon les experts.
Les intervenants ont tenu a souligné que le problème d’Haïti n’est pas fondamentalement l’intervention étrangère, mais bien la qualité de celle-ci. Elle peut être perverse lorsqu’elle contribue à la fragilisation de l’Etat, voire à sa désintégration. Lorsqu’un Etat est à ce point faible, les ONG peuvent finir par le remplacer. Par exemple, le système judiciaire serait plus corrompu aujourd’hui qu’il ne l’était avant que sa modernisation ne soit financée par les Canadiens. Par ailleurs, le budget de la MINUSTAH est souvent pointé du doigt comme étant particulièrement démesuré, sachant que cette dernière n’est pas légitime aux yeux d’une importante partie de la population.
Par ailleurs, les intervenants ont rappelé que les forces de maintien de la paix des Nations Unies causaient de graves problèmes dans l’île. Elles ont introduit le choléra en 2010, dont l’épidémie a tué près de 8000 personnes, et des soldats sont régulièrement accusés d’agressions sexuelles ou de viols sur des Haïtiennes. Cela illustre les limites de l’intervention internationale qui n’est pas globalement bénéfique à Haïti, loin sans faux. De plus, la plupart des organisations ne consomment pas de produits haïtiens et ne contribuent donc pas à la croissance du pays.
4. Dénonçant un « simulacre de démocratie », R. Fatton estime que les gouvernements successifs en place en Haïti depuis 2004, ne l’ont été qu’avec l’assentiment de ce qu’il nomme « l’International » pour désigner l’ensemble de forces onusiennes, occidentales et humanitaires qui agissent dans le pays. Cette incapacité à mettre en place à régime démocratique durable et souverain participe de l’incapacité du pays à émerger pour Laurent Dubois.
Le fait que le pays soit à la toute fin de la chaîne de production mondiale aurait pour effet d’affaiblir sa souveraineté. Haïti fait partie de « l’ultra-périphérie » à l’échelle de la planète et de ce fait n’a que peu d’intérêts à offrir aux investisseurs, si ce n’est sa reconstruction. Ces derniers l’envisagent souvent comme une terre vide, évitant de collaborer avec le gouvernement ou la société civile. Mais, l’ingérence internationale dans les affaires intérieures haïtiennes depuis près de trente ans n’aura pas permis la consolidation du pays, au contraire. Selon, M. Braun, l’économie est en déclin depuis les années 1950 sans qu’aucun gouvernement n’ai pu endiguer ce repli. Le chômage reste très élevé dans le pays et l’importance du secteur informel témoigne d’une structure économique fragile.
Les interlocuteurs constatent à regret la logique de discipline qui se serait instaurée entre le gouvernement haïtien et les organisations internationales ou les gouvernements étrangers impliqués en Haïti. A ce titre, les Etats-Unis ont notamment laissé entendre qu’ils n’appréciaient pas le rapprochement politique et économique d’Haïti avec Cuba et le Venezuela, et particulièrement l’accord conclu par le Président René Préval avec PetroCaribe. Or, PetroCaribe a joué un rôle majeur dans l’économie haïtienne en y investissant entre 450 et 500 millions de dollars.
5. Prenant pour exemple Taïwan et la Corée du Sud, les interlocuteurs ont soutenu que le redressement d’Haïti devrait passer par le développement rural du pays, dont 61 pourcents des habitants vivent à la campagne. Aujourd’hui seuls 2,5 pourcents de tous les fonds pour le développement sont consacrés à l’agriculture. C’est trop peu. Cela pourrait permettre à Haïti d’être autosuffisante alimentairement. Les enjeux sont donc la modernisation du secteur agricole, la reforestation du pays qui ne comprend plus que deux pourcents de couverture végétale sur l’ensemble du territoire et l’emploi d’une main d’œuvre souvent peu qualifiée.
Au nom de la reconstruction du pays, les institutions internationales comme le FMI ou la Banque Mondiale ont, trop souvent, affaibli l’Etat et son économie en imposant des plans de privatisations. M. Fatton a préconisé de ne plus centrer les efforts sur les exportations, mais de mettre en place des mesures protectionnistes car le pays n’est pas capable, selon lui, d’affronter la concurrence internationale. En effet, la stagnation économique haïtienne, voire sa régression, est une réalité depuis les années 1950, comme l’illustre la disparition quasi-totale de la classe moyenne dans le pays. Cela est directement lié, selon M. Braun, à l’inefficacité politique des institutions. La dépendance du pays à l’aide internationale renforce son manque de performance et sa mise à l’écart du commerce mondial. En effet, les dons dont a bénéficié Haïti ne doivent pas être confondus avec des investissements directs à l’étranger.
Le risque, si aucune réforme économique d’ampleur n’est entreprise, est le retour d’un régime autoritaire et antidémocratique. Pour éviter ce scénario, M. Braun prétend qu’une croissance soutenue (autour de dix pourcents par an) ainsi qu’une économie diversifiée, durable, intégrée et transparente, associées à un Etat fort et démocratique seront nécessaires à transformer Haïti en économie émergente. Pour cela, a ajouté M. Gabriel Verret, il faudra un consensus politique en Haïti qui ne sera pas facile à obtenir, mais qui est atteignable.
En conclusion, il a été souligné qu’il était ironique de comparer la situation actuelle d’Haïti avec le fait, qu’en 1804, elle soit devenue la seconde nation indépendante du continent américain et la première à s’affranchir de l’esclavage par les armes, montrant le chemin vers la souveraineté à bien d’autres pays.