AMERIQUE CENTRALE : PERSPECTIVES SUR LA CRIMINALITE

L’Inter-American Dialogue a organisé le 1er mai 2014 une rencontre sur le thème la violence en Amérique Centrale. La région est en effet considérée comme la plus violente au monde et les autorités semblent impuissantes à mettre un terme à cette calamité.

Les intervenants, José Luis Sanz et Carlos Martínez, deux journalistes salvadoriens travaillant pour le quotidien digital indépendant « El Faro », ont présenté leur ouvrage, « Crónicas Negras », dans lequel ils détaillent les causes et les conséquences du très fort taux de criminalité que connaît la région.

Selon les interlocuteurs, la violence, la corruption et l’impunité sont de véritables fléaux qui affaiblissent l’Amérique Centrale. Or, il ne faut pas perdre de vue que la criminalité est principalement un phénomène social que les politiques, uniquement répressives, mises en place jusqu’alors dans la région n’ont pas permis de combattre efficacement. Ainsi, faut-il adopter une nouvelle façon de combattre la violence et les gangs – les « Maras » – axée sur la prévention et la réinsertion.

1. L’Amérique Centrale est la région la plus violente du monde avec un taux moyen d’homicides moyen de 29 morts pour 100 000 habitants. Le Salvador est le pays le plus sujet à la criminalité, suivi de près par le Honduras, le Guatemala, Belize et le Nicaragua.

Cette violence est principalement le fait de gangs qui agissent au sein des différents pays de la région. Les deux principaux sont la Mara Salvatrucha 13 (MS13) et le Barrio 18 (M18).

Ces gangs regroupent principalement des jeunes, voire très jeunes garçons. En effet, l’âge d’intégration d’un gang varie entre 8 et 10 ans et la période d’activité se situe autour de 17 et 20 ans. Ces jeunes désocialisés et en déshérence se tournent vers ces bandes organisées particulièrement violentes et se retrouvent, le plus souvent, prisonniers de ces organisations auxquelles ils ne peuvent plus échapper.

Les Maras sont nées aux Etats-Unis dans les années 1970 et 1980, notamment à Los Angeles et Washington DC. Elles étaient à l’origine des groupes d’autodéfense des migrants centraméricains et mexicains. Mais les expulsions systématiques des leaders de ces bandes par les Etats-Unis à partir de 1992 après les émeutes de Los Angeles ont permis à ces-dernières de se développer dans les pays d’Amérique Centrale qui, par manque de moyens techniques et financiers, ne pouvaient pas lutter contre l’enracinement du crime organisé sur leur territoire. Ainsi, c’est un contexte de flux migratoires circulaires qui a permis la globalisation des Maras à l’échelle de la région.

2. Les causes de cette normalisation de la violence juvénile dans la région ne sont pas faciles à cerner. Des raisons telles que la pauvreté, le manque de perspectives économiques favorables ou la perte de repères des jeunes du fait de la déstructuration des familles sont parfois avancées. Les intervenants considèrent, plutôt, qu’il s’agit d’un phénomène social structurel. La corruption, la faiblesse des institutions et de la justice dans la plupart des pays d’Amérique Centrale ont permis le développement d’un sentiment d’impunité et ont fait perdre le contrôle de la situation aux autorités locales. Cela a conduit à la formation de groupes d’autodéfense paramilitaires luttant, à la place de l’Etat, contre ces bandes organisées. Ces derniers sont parfois définis comme de véritable « escadrons de la mort » qui n’hésitent pas à opérer des exécutions extrajudiciaires de membres de ces gangs.

Pour les deux journalistes, les liens entre le trafic de drogue et les Maras ne sont pas évidents. En effet, il ne faut pas généraliser et simplifier un problème qui est particulièrement hétérogène dans les réalités qu’il recouvre. La complexité de ces organisations est bien plus importante que ce qui est présenté par une certaine presse sensationnaliste. La violence est à la fois au service de trafics et de contrebandes variés, mais elle est aussi un mode d’expression politique dans ces pays.

3. Les moyens d’enrayer ce fléau peuvent être de deux ordres. Soit les Etats font le choix de la répression, soit ils font celui de la prévention. Or, pour des raisons principalement électorales, et pour répondre à l’exaspération des 28 millions d’habitants de la région, les gouvernements ont fait le choix de la fermeté en ne privilégiant que la répression.

Ainsi, en Honduras, dès 2002, des mesures répressives et liberticides ont été adoptée sous l’appellation de « Plan Liberté Bleue ». Ces mesures prévoyaient notamment la criminalisation du simple port de signes d’appartenance à un gang. Au Salvador, en 2003, Francesco Flores, alors Président, a créé la « Mano Dura », une politique policière particulièrement répressive qui devait conduire à l’arrestation et l’emprisonnement d’une majorité de membres de ces organisations criminelles.

Pourtant, ces politiques répressives n’ont pas apporté les résultats escomptés et la violence perdure dans la région. Plus inquiétant, la répression et l’incarcération systématique des membres de gangs auraient conduit les Maras à se renforcer et à se discipliner. Notamment, l’incarcération des leaders des Maras dans des prisons particulières, isolées de celles de droit commun, a permis à certains gangs de s’unir et de se consolider. La socialisation des différents groupes entre eux a conduit à une nationalisation puis une régionalisation de la criminalité organisée.

Les intervenants retirent de leur travail d’investigation, qu’au-delà d’un certain niveau la répression n’est plus efficace. Ils prônent alors une politique axée sur la prévention, pour détourner les jeunes de ces gangs, et la réintégration sociale des anciens membres qui les ont quittés. Pour cela des mesures éducatives ont été prises au Salvador avec l’ouverture de « Zones de paix », sortes d’établissements d’enseignement devant permettre aux jeunes de ne pas tomber dans l’escarcelle des Maras. La violence ne pourra être enrayée qu’au prix d’une politique de long terme favorisant le développement, l’investissement et la création d’emplois pour les jeunes.

La trêve négociée entre les deux principales bandes organisées, la MS 13 et la M18, en mars 2012, a eu des effets plutôt favorables dans un premier temps avec la réduction du nombre d’homicides de 13 – 14 par jours à 4 – 5 par jours au Salvador. Toutefois, les chiffres semblent repartir à la hausse depuis quelques mois et la majorité de la population demeure hostile à cette trêve qu’elle juge hypocrite et qui manque de transparence. Les zones « libres de violences » mises en place dans certaines municipalités du pays se traduisent parfois par des zones « libres de forces de police », permettant un renforcement du contrôle territorial par les gangs.
En conclusion, les journalistes ont insisté sur le fait que la violence en Amérique centrale doit être appréhendée comme un phénomène social complexe et hétérogène, dont l’expression est criminelle. La taille et la complexité qu’ont atteintes les Maras aujourd’hui obligent à avoir une approche organisationnelle du fléau, en termes de politiques sociales et de protection de la jeunesse.
On entrevoit des changements dans certains pays de la région dans la manière de lutter contre la violence. Au Honduras, les électeurs ont sanctionné les responsables politiques qui avaient prônés la répression à des fins électorales pour se relever incapables de résoudre les problèmes. Le thème de la violence reste toutefois un enjeu électoral crucial et une des oppositions structurantes de l’espace public en Amérique Centrale.

Dernière modification : 10/07/2014

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