LES DROITS REPRODUCTIFS EN AMERIQUE LATINE

Le 10 juin, l’Inter-American Dialogue et le Center of Reproductive Rights organisaient un symposium consacré aux droits reproductifs en Amérique latine et particulièrement au droit à l’avortement dans la région. Des experts des droits de l’homme, des représentants politiques et des spécialistes médicaux sont intervenus pour présenter leur point de vue et débattre sur la situation des femmes en Amérique latine. Le vice-ministre de la santé uruguayen, Leonel Briozzo, est intervenu pour présenter la législation libérale en vigueur en Uruguay depuis 2012.

Il ressort de ces débats que dans cette région conservatrice, l’intérêt de promouvoir une approche globale des droits reproductifs, y compris l’avortement, est une nécessité.

1/ Une région globalement conservatrice

L’Amérique latine compte certains des pays les plus conservateurs au monde sur la question des droits reproductifs. Le Nicaragua, le Chili, la République dominicaine et le Salvador prohibent de manière absolue l’avortement, quels que soient les motifs et les circonstances et le répriment pénalement. Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est le recul qu’ont connu certains de ces pays. Au Chili et au Salvador, respectivement en 1989 et en 1998, c’est la rénovation du Code pénal qui a conduit à la prohibition totale de l’avortement, même pour des raisons thérapeutiques et en cas de viol. Or, les législations de ces deux pays autorisaient jusqu’alors certains cas d’avortement dans les situations mettant gravement en danger la vie de la femme. Les Constitutions de ces deux pays ont également été modifiées pour proclamer que l’Etat a l’obligation de protéger le droit à la vie « dès la conception ». Morena Herrera, Présidente d’un groupe salvadorien d’activistes en faveur de l’avortement a notamment mentionné plusieurs cas de condamnations à trente années de réclusion criminelle, non pas sous le chef d’inculpation d’avortement, mais pour homicide aggravé sur l’enfant à naître, à l’encontre de femmes ayant pratiqué des avortements clandestins dans ce pays particulièrement répressif. Certains de ces cas ont fait l’objet de recours devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH).

Selon les intervenants, ce conservatisme s’oppose à la tendance mondiale majoritaire qui, lentement, étend la protection des droits sexuels et reproductifs des femmes dans le monde. De plus en plus nombreux sont les pays à respecter des engagements internationaux défendant le droit à l’avortement et les nombreux autres droits de l’homme liés à ce dernier : droit à la santé, droit à la vie, droit à librement disposer de son corps…

Le puissant conservatisme en Amérique latine trouve notamment son origine dans l’influence profonde de l’Eglise catholique dans la région. Comme l’a rappelé Denise Dresser, professeure mexicaine de sciences politiques, la visite en 2002 de Jean-Paul II au Mexique avait eu pour conséquence un changement de position radicale de certains candidats aux élections présidentielles de l’année suivante, quand bien même la ville de Mexico avait ouvert la voie à une certaine libéralisation du pays en autorisant l’avortement en 1997. De la même manière, le député chilien Vlado Mirosevic Verdugo, affirme qu’en signe de gratitude envers l’Eglise qui a protégé de nombreux Chiliens sous la dictature, les parlementaires et les gouvernements successifs du Chili n’ont pas souhaité, dans un premier temps, s’attaquer à des questions sensibles telles que l’avortement ou le divorce. Cette pression du clergé va à l’encontre de la liberté de conscience selon les intervenants. Cependant, Julián Cruzalta, membre du mouvement des Catholiques pour le Choix, est venu témoigner pour affirmer que tous les catholiques ne considéraient pas l’avortement comme un péché. Il ne s’agissait selon lui pas d’une question de morale collective mais d’une question d’éthique personnelle appartenant à chaque femme se trouvant en situation de devoir choisir entre prolonger la grossesse ou l’interrompre. Il ne devrait appartenir qu’à la femme de prendre cette décision et personne, ni même l’Etat, ne devrait pouvoir choisir pour elle.

Par ailleurs, en termes de droits reproductifs, les discriminations et les inégalités sont exacerbées entre les femmes du continent. Les femmes pauvres, peu éduquées et originaires de milieux ruraux ou appartenant à des populations indigènes ont recours à des modes d’interruption de la grossesse beaucoup plus risqués que les femmes des classes moyennes et supérieures.

2/ Un enjeu essentiel de santé publique

Aujourd’hui, pour la majorité des intervenants, il ne s’agit pas d’engager une mobilisation pour l’interruption volontaire de grossesse. Ils considèrent que dans la région, la première étape à franchir doit concerner les cas les plus extrêmes, en s’efforçant déjà de définir un champ limité d’autorisation a minima de l’avortement correspondant aux situations de détresse les plus graves (avortement thérapeutique, viol et inceste).

En effet, l’interdiction absolue de l’avortement et sa criminalisation n’ont pas fait diminuer le nombre d’avortements clandestins en Amérique latine. De plus, l’accent a été mis sur l’enjeu de santé publique que représente le droit à l’avortement dans cette région du monde où le taux de mortalité en couche est l’un des plus élevés du monde du fait des nombreux avortements clandestins pratiqués dans des conditions d’hygiène et de sécurité très précaires. Chaque année, plus de 2000 femmes latino-américaines meurent des suites d’un avortement et un million sont hospitalisées parce que 95% de interruptions de grossesse pratiquées en Amérique latine sont clandestines.

Il s’agit de protéger la « santé reproductive » telle qu’elle est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les femmes doivent pouvoir avoir la « liberté de choisir d’avoir des enfants si elles le souhaitent et quand elles le désirent ».

Pour mettre en place une véritable politique de santé publique, la légalisation sur l’avortement doit s’accompagner d’autres mesures, inexistantes le plus souvent dans les pays de la région. Ces mesures doivent favoriser une planification familiale et la prévention des grossesses indésirées. Notamment, l’éducation sexuelle, l’accès à des moyens de contraception et à l’information sur la procréation doivent limiter les cas de nécessité de recourir à un avortement.

Le vice-ministre de la santé d’Uruguay, Leonel Briozzo, a défendu la politique de son pays qui, depuis 2012, figure parmi les pays les plus libéraux de la région et même du monde en la matière. En effet, il a été constaté que l’avortement n’était pas moins fréquent dans les pays qui le prohibent et le criminalisent que dans les pays qui l’autorisent. Les mesures d’éducation et de prévention sont alors plus efficaces pour protéger tant la vie des femmes et leur santé, que pour offrir des alternatives au recours à l’avortement. La mise en place de services sociaux en faveur des femmes et de leurs droits est un impératif pour chaque pays, et en Uruguay cela a porté ces fruits dans la mesure où le taux de mortalité maternelle a chuté en quelques années, pour atteindre le niveau de pays comme les Etats-Unis ou le Canada.

Morena Herrera, militante salvadorienne pour l’avortement, s’est alarmée de l’obligation pesant sur le personnel médical de dénoncer les avortements au Salvador sous peine d’être condamné à la prison ferme. Ce mécanisme fonctionne : de nombreuses dénonciations ont eu lieu dans ce pays, celui dans la région qui poursuit le plus les femmes devant les tribunaux. Ce rôle de délation n’est en aucun cas compatible avec la mission des médecins et leur mission de secours aux individus en détresse.

Aujourd’hui pourtant les positions ne sont pas figées, même dans les pays les plus conservateurs sur ces questions. Au Chili, Vlado Mirosevic Verdugo rappelle que plus de 70% des citoyens, selon une récente enquête d’opinion, seraient favorables à l’introduction de l’avortement en cas de danger pour la vie de la mère, en cas de malformation grave du fœtus, ou en cas de viol et d’inceste. Certaines affaires médiatiques ont particulièrement touché la population, comme celle d’une fillette de onze ans violée par son beau-père et tombée enceinte. Comme l’a souligné le député chilien, Michelle Bachelet, la Présidente du Chili, a annoncé à la fin du mois de mai qu’elle enverrait un projet de loi au Congrès avant le mois de décembre 2014 pour ouvrir la législation chilienne en matière d’avortement comme elle s’y était engagée lors de la campagne présidentielle.

Dernière modification : 10/07/2014

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