ARGENTINE : PERSPECTIVES ECONOMIQUES ET POLITIQUES
1. Lors d’une rencontre à l’Inter-American Dialogue, le 14 avril, il était question des perspectives économiques et politiques de l’Argentine, à l’horizon des élections présidentielles de 2015 qui mettront fin à plus de 10 ans de « Kirchnerisme ».
Les intervenants étaient :
- Gustavo Cañonero : économiste en chef pour les marchés émergeants à la Deutsche Bank Securities
- Daniel Kerner : chef de groupe pour l’Amérique Latine à l’Eurasia Group (Société de conseil en stratégie spécialisée sur les pays instables politiquement)
La prochaine échéance électorale, les élections présidentielles qui se dérouleront dans dix-huit mois en octobre 2015, va marquer un tournant dans la politique et l’économie argentines : la fin de l’ère Kirchner. Il est alors intéressant de s’interroger sur l’importance et l’intensité de cette transition à venir.
2. La politique, notamment économique, mise en œuvre par les Kirchner a reposé sur une attitude protectionniste et sur des propositions populistes visant à prendre le contrepied de la politique libérale de l’ancien Président de la République Carlos Menem (en fonctions entre 1989 et 1999), qui a contribué à la grave crise économique et monétaire de la fin des années 1990 et du début des années 2000.
Selon les experts, après avoir bénéficié de résultats économiques très probants entre 2003 et 2009, favorisés par la forte hausse des cours des matières premières exportées par le pays, au premier rang desquelles le soja, la politique économique mise en œuvre par Nestor puis Cristina Kirchner subit un important repli ces derniers mois. Les taux de croissance élevés des précédentes années n’ont pas conduit les Kirchner à réformer l’industrie argentine et notamment à la diversifier et la rendre plus compétitive. Ainsi, lorsque les cours des matières premières produites par l’Argentine ont cessé de croître, la croissance a chuté et les réserves monétaires également, parce qu’il a fallu puiser dans ces dernières pour financer l’économie et rembourser la dette.
La politique conduite par les Kirchner est interventionniste et protectionniste. Cela contribue au manque criant d’investissements en Argentine ces cinq dernières années. La politique mise en œuvre par le gouvernement péroniste ne fait pas confiance aux marchés pour financer l’économie, ce qui entraîne un repli de capitaux qui contribue au ralentissement global de l’économie. Le retrait des capitaux étrangers favorise l’inflation et la dévalorisation du Peso. Cela pourrait conduire à une nouvelle crise de la balance des paiements et à un risque d’insolvabilité de l’économie argentine.
3. Les interlocuteurs estiment qu’on peut toutefois créditer la politique des Kirchner des efforts faits pour rembourser la dette argentine ces dernières années. Il y a eu une véritable volonté de rembourser les créanciers et de ne pas retomber dans les travers ayant conduit à la crise de 2001. Toutefois, les différends entre l’Argentine et ses créanciers ne sont pas encore définitivement soldés plus de dix ans après la crise. En effet, l’Argentine a été condamnée en 2013 à payer près de 1,5 milliards de dollars à des fonds d’investissement n’ayant pas accepté la restructuration de la dette souveraine. Par ailleurs, le 18 mars dernier, l’agence de notation Moody’s a dégradé d’un rang la note de la dette souveraine argentine, celle-ci passant de B3 à Caa1.
4. Ces derniers mois la situation a empiré et l’Argentine pourrait faire face à une récession. En effet, l’inflation est extrêmement importante, supérieure à 30% sur la dernière année, et des taux mensuels se rapprochant des 5%. Cela a pour conséquence immédiate de dévaloriser les salaires, près de 35% en un an, et de dévaloriser le Peso. Le gouvernement a d’ailleurs choisi de faire une importante dévaluation du Peso (-13%) en janvier 2014 afin, notamment, de relancer les exportations argentines. Mais la perte de confiance dans le Peso est telle que les Argentins continuent, pour protéger leur épargne, d’acheter des dollars au marché noir malgré les mesures de prohibition instaurées par le gouvernement. Le gel des prix ordonné par la Présidente Cristina Kirchner sur près de 80 produits de base n’a pas fonctionné et l’inflation continue d’augmenter.
De plus, les réserves de change argentines ont été réduites de près de moitié entre 2010 et 2013 parce que le financement de l’économie par les fonds intérieurs a été très important, afin de soutenir le Peso. Mais l’économie fait face à une forte diminution de revenus du fait du repli de la demande. Or, toute la logique de la politique économique conduite par Cristina Kirchner repose sur le postulat selon lequel la demande est à l’origine de la croissance et de l’investissement.
5. Face à ce risque pour l’économie argentine, le gouvernement a commencé à évoluer sur certains points pour regagner de la crédibilité auprès des institutions financières internationales. Notamment, des réductions de subventions ont été entreprises, ainsi qu’un contrôle général des dépenses sociales. Enfin, une partie des investisseurs internationaux tire avantage de la dévaluation du Peso.
6. Sur le plan politique, le niveau d’attente de la population est très élevé après la décennie formidable qu’a connue le pays et la période post-Kirchner sera particulièrement ouverte politiquement. Il n’y a pas encore de successeur désigné des Kirchner. Trois potentiels candidats se distinguent par ailleurs. Ils viennent tous de la région de Buenos Aires. Le gouverneur de la capitale, Daniel Scioli, du parti Justicialiste, qui a été vice-président entre 2003 et 2007, semble être populaire auprès des syndicats et de la classe économique. Sergio Massa, également du parti Justicialiste et député de la province de Buenos Aires, qui a été le chef de cabinet de Cristina Kirchner en 2008-2009, a depuis rompu avec le Kirchnerisme et incarne la nouvelle génération, plus jeune, tout en bénéficiant d’une solide expérience. Enfin, Mauricio Macri, du parti de droite « Compromiso para el cambio » et maire de Buenos Aires. Ces trois candidats probables sont très différents des Kirchner et se défendent tous de reproduire le modèle imposés par eux.
7. Parmi les propositions faites pour permettre à l’Argentine de rebondir, on peut souligner d’abord, la diminution du taux d’imposition. La taxation atteint maintenant 40% alors que ce n’était que 15% il y a quelques années. Ce niveau de taxation est bien trop élevé par rapport aux pays voisins et joue en défaveur de la compétitivité argentine.
Par ailleurs, le rebond pourrait venir d’investissements et de l’exploitation des réserves énergétiques du pays, notamment en gaz de schiste et en pétrole de schiste (majoritairement situées en Patagonie).
Enfin, il faut redonner de la confiance aux entrepreneurs et aux capitaux en rétablissant un environnement plus propice à l’investissement et aux entreprises. Il faut revaloriser le « laisser-faire » en Argentine et diminuer l’intervention de l’Etat dans les affaires économiques. L’investissement est particulièrement nécessaire à une économie pour lui permettre d’être solvable et soutenable. Le principal enjeu est alors de redonner à l’Argentine un accès plus facile aux marchés financiers pour développer des investissements et éviter d’assécher les réserves de change nationales.
Les intervenants, en conclusion, estiment qu’il ne faut pas fonder trop d’espoir dans le changement de Président de la République qui aura lieu dans 18 mois : il ne suffira pas de changer les hommes pour changer la politique et améliorer la situation du pays.